La déformation crânienne toulousaine, ou comment nouer de manière « fidèle » le moucadou sous la coiffe dans la région toulousaine.

Comme vous pourrez le constater si vous assistez à un spectacle en costume traditionnel de la région Toulousaine (pas celui de la vendeuse de violettes, le vrai), les filles portent un grand carré de tissu plié en deux et noué sur la tête de manière particulière : le « moucadou » positionné sur le « bendou ». Lors de certaines grandes occasions, les femmes ajoutaient par-dessus une coiffe de dentelle dont la forme pouvait dépendre de leur village d’origine, de leur métier et surtout de leur condition sociale. Dans les campagnes, les femmes n’avaient généralement qu’une seule coiffe qu’elles gardaient précieusement du jour de leur mariage à leur décès et souvent étaient enterrées avec (d’où le peu de coiffes authentiques retrouvées dans les campagnes).

Exemple d'un pliage du moucadou à la mode gasconneExemple d'un pliage du moucadou à la mode lauragaiseLa manière de plier, nouer et de serrer très fortement le moucadou donne à la tête une forme allongée vers l’arrière (image à droite : moucadou plié selon la mode lauraguaise (rive droite de la Garonne), à gauche, selon la mode gasconne (rive gauche de la Garonne). Cet aspect de la tête, différent de ce que nous connaissons actuellement, reste cependant fidèle à ce que portaient la majorité des femmes de la région toulousaine dans les années 1880/1890. En effet, à cette époque (et bien avant), le crâne des enfants subissaient des déformations leur donnant (dans notre région et dans d’autres régions françaises) une forme allongée typique dite la « déformation toulousaine ». Ces modifications corporelles des nouveau-nés furent toutes complètements abandonnées entre la fin du XIXème siècle et la première guerre mondiale puis complètement oubliées (un peu comme si on avait honte de cette pratique ancestrale). Si certains pensent que c’est sous l’impulsion des médecins qui pensaient que ces déformations étaient responsables d’un abrutissement des « déformés » (ce qui finalement ne se révèle pas être le cas, car dans la région toulousaine, un grand nombre d’hommes illustres possédaient cette modification osseuse comme l’explorateur J-F de La Perouse ou le médecin Philippe Pinel), d’autres sont plus partisans d’un abandon de ces pratiques sous l’effet d’un changement de mode dans les coiffes des nouveau-nés et des adultes.

A quand remonte cette tradition de déformer le crâne des nourrissons à la naissance ?

Durant l’antiquité, ces pratiques étaient courantes : les Macrocéphales décrits par Hippocrate, les Sigins du Caucase (Strabon), comme les Huns (Ammien Marcellin et Sidoine Apollinaire). Cette pratique était également retrouvée chez les Gallo-romains (pour lesquels un certains nombre de crânes déformés furent retrouvés, notamment dans la nécropole de Vieille-Toulouse). Si la déformation est connue dans toute l’Europe occidentale, la déformation dite « toulousaine » pourrait être apparue au XIIème siècle (Thèse de J. Ambialet et hypothèse donnée à partir de l’étude d’un certains nombre de crânes retrouvés notamment à Sorèze), cependant, les premiers témoignages précis et crédibles datent du XVIème siècle. Au débutPortrait d'un homme au crâne déformé par E. Trutat du XIXème siècle, toutes les catégories sociales pratiquent la déformation sur les nourrissons. Pour confirmer ceci, il n’y a qu’à observer le nombre impressionnant de clichés pris par Eugène Trutat à la fin du XIXème siècle et exposés actuellement au Musée de Gaillac pour se rendre compte de l’importance de ces déformation dans la région toulousaine (Lauragais, Gascogne et Tarn). Ceci mis à part, il n’existe quasiment aucune iconographie antérieure concernant cette déformation, mais en regardant attentivement certaines statues (civiles comme religieuses) ou portraits on peut retrouver des traces de ces déformations, Vierge de Ladin vue globale de facequi Vierge de Ladin, détails des visages de 3/4 facepermettraient d’attester l’existence de ces déformations à des époques antérieures. Par exemple, dans l’Albigeois, on peut voir une superbe Vierge à l’Enfant en bois (initialement dans l’église de Saint Symphorien de Ladin (datant du XVème siècle et donc peut-être un des témoignage les plus anciens sur cette pratique) et maintenant dans le musée de Rabastens), pour laquelle le sculpteur a vraisemblablement pris pour modèle une jeune fille de la région qui possédait un crâne déformé en hauteur et un jeune enfant qui a, au contraire, un crâne déformé vers l’arrière (les deux types de déformations qui étaient présentes dans la région). Comme vous pouvez le voir sur les photos ci-contre, cette statue, malgré les ans reste d’une fraicheur impressionnante et irradie l’air d’amour maternel avec cette main un peu disproportionnée par rapport au reste du corps qui soutient et protège le Christ (vous aurez plus de photos et de détails dans le prochain post de ce blog sur cette salle exceptionnelle d’art religieux du musée de Rabastens). D’autres témoignages datant de la même période ou un peu plus tardifs, présentent également des crânes déformés. En effet, La malheureuse famille Calascertains visages des prophètes sculptés au niveau du Jubé de la cathédrale d’Albi (qui furent créé à l’image de modèles vivants (notamment des mécènes) dans la région à la fin du XVème siècle), de part la forme du visage on peut émettre l’hypothèse que plusieurs de ces personnes avaient un crâne déformé, ce n’est hélas pas visible directement car ces statues ont toutes des coiffes plus ou moins imposantes… (Discussion avec Bertrand de Viviès). Ou encore, lorsque l’on regarde attentivement cette peinture concernant l’affaire Calas (« La Mère, les deux Filles, avec Jeanne Viguière, leur bonne Servante, le Fils et son ami, le jeune Lavaysse » de Carmontelle en 1765), on peut deviner sous les coiffes des femmes, mais surtout sous celle de la servante (au centre) un crâne déformé.

Comment obtenir une telle modification de la structure osseuse du crâne?

Lou Sarro-capDans un premier temps, ce sont les sages-femmes qui remodèlent la forme du crâne avec leurs mains. La déformation obtenue est ensuite maintenue grâce à la pression exercée par des coiffes spécifiques. Les nouveau-nés (dans la région toulousaine, autant les garçons que les filles) portaient un «sarro-cap» (serre tête), directement sur le cuir chevelu, qui permettait une compression circulaire autour du front, des oreilles et du bas du crâne. Il était également composé de deux pièces de toile symétriques et reliées par une couture qui lui permettait d’envelopper (et de protéger) tout le sommet de la tête à partir de la racine du front. Une échancrure au niveau de la nuque permettait le rapprochement et l’imbrication des parties latérales grâce à deux liens : les «péoulios», qui sont d’abord entrecroisés en arrière, puis venaient se croiser à l’avant du front pour finalement être noués sous la nuque. Par la suite, «lou Lou Bendoubendel» (bandeau) était positionné au niveau des «péoulios», de ses deux extrémités partaient de longs rubans de fil permettaient d’encercler trois fois le crâne. Le bord inférieur (au niveau du front) était parfois décoré de dentelles. Par-dessus, les femmes positionnaient le « moucadou » qui par un pliage minutieux épousait parfaitement cette forme particulière du crâne. La coiffe (qui s’ajoutait sur le « moucadou » ou sur un autre type de couvre-chef le « toupi » faisait parti des riches parures. C’était même le symbole qui marquait pour la femme l’entrée dans la vie. Les femmes pouvaient positionner en plus la «listro», en dentelle qui prolongeait en avant le «toupi» dont la forme et la richesse des décorations variaient selon la localisation et les moyens de chacune.

Pourquoi cette déformation du crâne?

C’est surement la question que tous les spécialistes se posent encore… pour d’autres peuples, c’est pour des raisons religieuses (se rapprocher des dieux) et sociales (effrayer les ennemis), mais en Europe occidentale, aucun documents ne permet de déterminer les raisons initiales de cette déformation. Peut-être est-ce par superstition (protéger les enfants du diable?) ou initialement un rite de passage lors de la naissance ? Est-ce pour protéger du froid et des chocs les fontanelles des nouveau-nés ? En tout cas, on peut dire qu’au XIXème siècle, cette déformation était un critère de beauté. L.A. Gosse écrivit en 1854 : « Chez les campagnards du Languedoc, on considère encore la tête allongée en arrière et à front fuyant comme la plus élégante ». Déjà au XVIème siècle, Jean Bodin écrivait, en latin, que nos ancêtres considéraient certains allongements particuliers de la tête comme beaux. Mais ce critère de beauté ne serait-il pas juste une conséquence et non la cause initiale de cette déformation? La question reste donc sans réponse…

Pour conclure, je tiens à remercier chaleureusement Mr Bertrand de Viviès (conservateur du Musée de Gaillac) pour toutes les informations qu’il a eu la gentillesse de me donner pour m’aider dans l’écriture de ce post. Également le conservateur et la responsable du Musée de Rabastens (Mr Guy Ahlsell de Toulza et Mme Martine Bourdariès) qui ont accepté de me recevoir et permis de prendre en photo cette Vierge de Ladin qui m’a tant émue et de découvrir d’autres trésors inattendus qui sont exposés dans ce musée.

Kévin CARAYON

Bibliographie succincte :

Paul Broca : « Sur la déformation toulousaine du crâne »

Frederic Falkenburger : « Recherches anthropologiques sur la déformation artificielle du crâne »

Achille Louis Foville : « Influence des vêtements sur nos organes »

Jacques Gélis, 1984. « Refaire le corps, Les déformations volontaires du corps de l’enfant à la naissance ». Ethnologie Française.

Bertrand de Vivies, 1998. « La déformation crânienne albigeoise, une croisade scientifique moderne, XVIII e-XX e s », Bulletin de la Société des Sciences Arts et Belles lettres du Tarn, N° L, LI, 1996 et 1997, P 275.

Bertrand de Viviès : Entretien et conférence « Une coutume tarnaise oubliée: la déformation crânienne enfantine » donnée le 21/11/2008.

8 Responses to La déformation crânienne toulousaine, ou comment nouer de manière « fidèle » le moucadou sous la coiffe dans la région toulousaine.

  1. Anonyme says:

    Je vous félicite, c est un régal de vous suivre

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  2. Bernard Jimenez says:

    Très intéressant. Quelle est la source qui autorise à écrire que Lapérouse avit cette déformation. Il n’est pas mentionné dans la publication de Bertrand de Viviès. Merci d’avance pour votre réponse. Bien cordialement. Bernard / Albi

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    • carayonk says:

      En fait, c’est Bertrand de Viviès lui-même qui m’en a parlé lorsque je l’ai contacté par téléphone. Il a relu l’article publié sur ce blog et n’a rien modifié. Lors de notre discussion téléphonique, nous avons parlé de l’effet de la déformation cranienne sur le reste du visage. Tous les déformés avérés présentent un positionnement du front et de la machoire caractéristiques bien visibles lorsqu’ils sont de profil. Nous en sommes venu à cette discussion car je voulais savoir à quand remontait cette « tradition de déformé le crâne des nouveaux-nés ». C’est là que nous avons parlé des premiers témoignages dont la Vierge de Ladin (une pièce vraiment magnifique) et du portique de la cathédrale d’Albi pour lequel, parmi les visages des prophètes (qui étaient à l’image des mécènes de l’époque) on retrouve des structures faciales qui permettent de penser que ces personnes avaient déjà un crâne déformé. Mais hélas, les coiffes qu’ils portent ne permettent pas d’en avoir la preuve irréfutable… Nous avons ensuite parlé des hommes célèbres de la région dont il pensait qu’ils étaient déformés, Laperouse en faisait parti. Pour argument, il m’a dit d’aller voir la statue qu’il y a à Albi. On peut observer (de profil) que le crane est plat sur le dessus avec un prolongement en arrière.
      J’espère avoir répondu a votre question, en tout cas, n’hésitez pas!!! Cela me fait plaisir d’en parler.

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